Ambassade de Suisse au Pakistan – le regroupement d’une famille retardé par des allers-retours dangereux et inutiles
Pour que leur demande de regroupement familial soit examinée, les autorités suisses demandent à Nadia* et ses quatre enfants, ressortissants afghans, de se rendre à l’ambassade suisse au Pakistan. Malgré les dangers encourus, la famille devra faire plusieurs allers-retours entre l’Afghanistan et le Pakistan.
Personne·s concernée·s (*Prénoms fictifs) : Nadia*
Origine : Afghanistan
Statut : permis B par regroupement familial
Après 5 ans de résidence en Suisse, Fazal*, ressortissant afghan avec un permis F, demande le regroupement familial pour sa femme Nadia* et leurs quatre enfants qui se trouvent encore en Afghanistan. Les autorités suisses demandent à la famille de se rendre à l’ambassade de Suisse au Pakistan pour y déposer une demande formelle d’entrée en Suisse avant que la demande ne soit traitée.
En février 2022, la famille obtient un visa pour le Pakistan. Le premier rendez-vous est fixé par l’ambassade au mois de juin. Alors que Nadia* et ses enfants attendent plusieurs heures dans la «zone d’attente», l’interprète est déjà parti lorsque leur tour arrive. L’ambassade leur donne alors un nouveau rendez-vous pour septembre 2022, alors que leurs visas arrivent à échéance avant cette date. La famille est donc contrainte de retourner en Afghanistan puis de revenir, en septembre avec un nouveau visa pakistanais. Or, une des enfants n’obtient pas le visa d’entrée au Pakistan. Elle doit donc s’y rendre illégalement.
Entre temps, la mandataire de Fazal* demande aux autorités de délivrer les visas sans attendre l’authentification des documents, procédure qui prend 8 à 10 mois. En janvier 2023, les visas d’entrée pour la Suisse sont accordés par les autorités cantonales. Un nouveau rendez-vous est immédiatement demandé à l’ambassade à Islamabad pour y recevoir les visas. Mais, comme les passeports de la famille expirent dans les six mois, la représentation exige qu’ils soient d’abord renouvelés. Un nouveau rendez-vous est fixé pour la fin janvier 2023 à l’ambassade d’Islamabad, lors duquel les visas d’entrée en Suisse sont enfin remis à la famille. Malheureusement, l’enfant qui n’avait pas reçu de visa pakistanais ne peut pas quitter ce pays légalement. Par conséquent, la famille est contrainte de retourner en Afghanistan pour ensuite entreprendre le voyage vers la Suisse. Cependant, les talibans au pouvoir ne permettent pas le voyage des femmes seules. Fazal*, qui avait fui l’Afghanistan en raison de persécutions politiques des talibans, est alors contraint d’y retourner pour accompagner sa famille jusqu’en Suisse. Il est interrogé par les talibans à son arrivée à l’aéroport de Kaboul. S’il s’en sort, c’est du seul fait que les talibans ne disposent pas d’archives qui remontent à l’époque de son départ. Fazal*, Nadia* et leurs quatre enfants arrivent en Suisse au mois de février 2023.
Questions soulevées
- Comment se fait-il que les autorités suisses exigent que des personnes traversent des frontières qu’elles reconnaissent pourtant être particulièrement dangereuses ? Pourquoi n’instaurent-elles pas une voie alternative pour demander l’entrée en Suisse ?
- Dans le cas où toutes les conditions pour bénéficier d’un regroupement familial sont remplies, pourquoi les démarches ne sont-elles pas simplifiées, particulièrement lorsqu’on est face à un contexte de guerre comme en Afghanistan ?
- Comment se fait-il que le délai pour obtenir un premier rendez-vous à l’ambassade de Suisse à Islamabad soit à l’heure actuelle de près d’une année ? Qu’est-ce qui explique que la procédure soit aussi lente ?
- Comment se fait-il que les autorités cantonales ou fédérales exigent que la demande d’un visa long séjour se fasse en personne à l’ambassade, alors même que l’art. 23 al 1 de l’Ordonnance sur l’entrée et l’octroi de visas (OEV) indique que cela n’est pas nécessaire ?
Chronologie
2021 : Demande de regroupement familial (août).
2022 : Premier rendez-vous auprès de l’ambassade à Islamabad (juin), second rendez-vous auprès de la même ambassade (sept.).
2023 : Délivrance des visas d’entrée par l’ambassade (janvier), arrivée de la famille en Suisse (fév.).
Description du cas
Ressortissant afghan, Fazal* arrive en Suisse en 2016 et obtient le permis F.
En août 2021, il demande le regroupement familial pour sa femme Nadia* et leurs quatre enfants qui se trouvent encore en Afghanistan.
Au mois de novembre 2021, Fazal* obtient le permis B. Le changement de permis entraine un changement de compétences puisque c’est désormais le canton de résidence de Fazal* qui est responsable du traitement de la demande de regroupement familial. Les autorités cantonales demandent que Nadia* dépose une demande officielle d’entrée en Suisse auprès de la représentation Suisse au Pakistan.
À ce moment-là, les talibans viennent de prendre le pouvoir en Afghanistan et tout déplacement en dehors des frontières est dangereux. Malgré le risque, en février 2022, la famille obtient un visa pour le Pakistan. Le 16 mars, la mandataire de Fazal* écrit à l’ambassade d’Islamabad pour obtenir un rendez-vous. L’ambassade lui répond en l’informant des documents nécessaires à apporter.
En avril, la mandataire renouvelle sa demande pour un rendez-vous, en envoyant les documents demandés par courriel. L’ambassade informe de sa première disponibilité, qui est le 22 juin 2022. De plus, elle précise que la vérification des documents prendra 8 à 10 mois.
Le jour du rendez-vous, alors que Nadia* et ses enfants arrivent bien avant l’heure prévue, la famille patiente quatre heures dans la «zone d’attente». Lorsque son tour arrive, l’interprète est déjà parti. L’ambassade décrète que la famille était en retard et lui fixe alors un nouveau rendez-vous, au 6 septembre 2022. Les visas arrivant à échéance, il n’est pas possible pour la famille de rester au Pakistan jusqu’à cette date. L’ambassade est catégorique, même si la famille a remis tous les documents et qu’elle s’est présentée, un nouveau rendez-vous est nécessaire.
Le 6 septembre 2022, la famille refait le trajet de l’Afghanistan au Pakistan pour se rendre au rendez-vous fixé par l’ambassade. Mais une des enfants n’a pas obtenu le visa d’entrée au Pakistan et doit donc s’y rendre illégalement. Entre temps, la mandataire de Fazal* demande aux autorités cantonales de délivrer les visas pour la Suisse sans attendre l’authentification des documents qui prend 8 à 10 mois. Comme requis par les autorités cantonales, Fazal* démontre alors avoir un appartement approprié et un salaire suffisant pour prendre en charge sa famille.
Le 24 janvier 2023, les visas d’entrée pour la Suisse sont enfin accordés par les autorités cantonales. Un nouveau rendez-vous est immédiatement demandé à l’ambassade d’Islamabad pour y recevoir les visas. Mais, constatant que les passeports de la famille expirent dans six mois, la représentation suisse exige qu’ils soient renouvelés. Par chance, la famille peut le faire depuis l’ambassade d’Afghanistan à Islamabad.
Un nouveau rendez-vous est fixé pour la fin janvier 2023 à l’ambassade, lors duquel les visas d’entrée en Suisse sont enfin remis à la famille. Malheureusement, l’enfant qui n’avait pas obtenu de visa pakistanais ne peut pas quitter ce pays légalement. Par conséquent, la famille est contrainte de retourner en Afghanistan pour pouvoir entreprendre le voyage vers la Suisse.
Or, les talibans ne permettent pas le voyage des femmes seules. Fazal*, qui avait fui le pays pour cause de persécutions politiques, est donc contraint d’y retourner malgré le danger, afin d’accompagner sa famille jusqu’en Suisse. À l’aéroport de Kaboul, il est interrogé par les talibans. S’ils ne le reconnaissent pas, c’est uniquement parce qu’ils ne possèdent pas d’archives qui remontent à l’époque de la fuite de Fazal*.
Le 22 février 2023, Fazal*, Nadia* et leurs quatre enfants arrivent en Suisse.
Signalé par : Association elisa-asile
Sources : Entretiens avec la mandataire juridique et avec l’oncle de la famille.