A 15 ans, il est bloqué en Grèce pendant 10 mois avant de pouvoir rejoindre sa mère en Suisse
Farid* devra attendre près de 10 mois avant de rejoindre sa mère en Suisse, en vertu du regroupement familial dans le cadre des accords de Dublin. En cause, la lenteur de la procédure et les doutes incessants de l’unité grecque Dublin et du SEM concernant le lien de filiation, malgré les documents d’identité fournis.
Personne·s concernée·s (prénom∙s fictif∙s) : Farid*, né en 2004
Origine : Afghanistan
Statut : regroupement familial dans le cadre du Règlement Dublin
Résumé du cas
Farid*, un jeune afghan de 15 ans, vit tout seul dans le camp de Moria à Lesbos, depuis le 13 juillet 2019. Sa mère est arrivée en Suisse, le 13 août 2018, date à laquelle elle a déposé une demande d’asile. En août 2019, son mandataire adresse un courriel à l’unité « Dublin » des autorités grecques leur priant de transmettre à la Suisse une demande de regroupement familial pour Farid.
Le 16 septembre, suite à la demande de l’unité grecque, le mandataire leur adresse les documents d’identités de Farid. Deux jours plus tard, la Grèce confirme avoir bien reçu la requête de réunification familiale et mentionne que la procédure débutera dès « réception de l’ensemble des documents ». Avec l’aide d’ELIL, une organisation juridique qui travaille sur place, le mandataire complète la demande de regroupement familial avec tous les documents que l’enfant et sa mère ont pu collecter pour prouver le lien de filiation. Début novembre, l’unité grecque Dublin demande de nouveaux documents, certains ayant pourtant déjà été adressés. Le problème principal semble être le manque de preuve du lien de filiation, le nom de la mère n’apparaissant pas sur la tazkira – la carte d’identité afghane – de Farid. ELIL et le mandataire en Suisse transmettent donc de nouveaux éléments de preuves : des photos de famille et la copie des PV des auditions d’asile de la mère dans lesquelles elle mentionne clairement son fils.
Le 10 janvier 2020, le SEM contacte finalement le mandataire et l’informe avoir reçu la demande de regroupement familial de la part de la Grèce. Il redemande des précisions quant au lien de filiation, notamment parce que Farid n’a pas le même nom de famille que ses frères et sœurs. Le mandataire renvoie immédiatement l’ensemble des documents présentés. Fin mars 2020, toujours aucune nouvelle du SEM. Entretemps, la mère de Farid a obtenu l’asile en Suisse, ouvrant ainsi un nouveau droit au regroupement familial. Mais la crise du coronavirus et la fermeture des frontières empêcheront Farid de rejoindre sa mère pour quelques mois encore. Il arrivera en Suisse à la fin mai 2020, après 10 mois d’attente.
Questions soulevées
Alors que le préambule du Règlement Dublin (RD) rappelle que « le respect de la vie familiale devrait être une considération primordiale pour les États membres » (RD, préambule, consid. 14), le SEM ne fait-il pas preuve d’un excès de zèle quant à l’établissement du lien de filiation ?
Au vu de la situation en Grèce, notamment dans les camps tels que celui de Moria à Lesbos, le regroupement familial des jeunes pour lesquel·le·s la responsabilité de la demande d’asile revient à la Suisse ne pourrait-il pas être accéléré et facilité ?
Chronologie
Août 2019 : Courriel à l’unité grecque Dublin demandant de transmettre à la Suisse une demande de regroupement familial pour Farid
Sept.-déc. 2019 : échanges réguliers entre le mandataire et l’unité grecque Dublin
Janvier 2020 : Courrier du SEM demandant des précisions concernant le lien de filiation
Mai 2020 : arrivée de Farid en Suisse
Description du cas
Farid, 15 ans, est seul dans le camp de Moria à Lesbos depuis un mois, lorsque le mandataire de sa mère, récemment arrivée en Suisse, adresse un courriel à l’unité grecque Dublin, leur priant de transmettre à la Suisse une demande de regroupement familial pour le fils de sa mandante. En effet, selon l’art. 8 § 2 RD, « […] l’État membre dans lequel le mineur non accompagné a introduit une demande de protection internationale prend dès que possible les mesures nécessaires pour identifier les membres de la famille, les frères ou sœurs ou les proches du mineur non accompagné sur le territoire des États membres […] ».
Les documents d’identité de Farid sont envoyés à l’unité grecque en septembre, mais celle-ci demande davantage de documents, sans préciser ce qu’elle attend. Le mandataire s’en enquiert et est renvoyé vers l’assistante sociale de Farid. Le mandataire fait alors intervenir l’un de ses contacts sur place, qui travaille pour l’organisation juridique ELIL et qui rencontre l’assistante sociale. Celle-ci travaille pour Metadrasi, une ONG mandatée par la Grèce pour le suivi des mineur·e·s non accompagné·e·s. Mais en raison du nombre important d’enfants seul·e·s et du manque de personnel, Metadrasi n’arrive pas à accompagner l’ensemble des enfants. L’assistante sociale propose qu’ELIL se charge directement du suivi de Farid. ELIL prend le mandat de représentation et complète la demande de regroupement familial avec tous les documents que l’enfant et sa mère ont pu collecter. Début novembre, l’unité grecque Dublin demande de nouveaux documents, certains ayant pourtant déjà été adressés. ELIL et le mandataire en Suisse transmettent donc de nouveaux éléments de preuves : des photos de famille et la copie des PV des auditions d’asile de la mère dans lesquelles elle mentionne clairement son fils.
Six mois après le début des démarches pour pouvoir faire venir Farid en Suisse, le SEM contacte finalement le mandataire et l’informe avoir reçu la demande de regroupement familial de la part de la Grèce. Malgré l’urgence de la situation et en dépit du nombre important de documents déjà envoyés en Grèce afin d’attester du lien de filiation le SEM redemande des précisions à ce sujet. Le mandataire renvoie immédiatement l’ensemble des documents déjà présentés. Le règlement Dublin précise pourtant : « l’exigence de la preuve ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour la bonne application du présent règlement. […] À défaut de preuve formelle, l’État membre requis admet sa responsabilité́ si les indices sont cohérents, vérifiables et suffisamment détaillés […] » (RD, art. 22 § 4 et 5).
Fin mars 2020, toujours aucune nouvelle du SEM. Entretemps, la mère de Farid a obtenu l’asile en Suisse, ouvrant ainsi un nouveau droit au regroupement familial. Mais la crise du coronavirus et la fermeture des frontières empêcheront Farid de rejoindre sa mère pour quelques mois encore. Il arrivera en Suisse à la fin mai 2020, après 10 mois d’attente.
Signalé par : Service d’Aide juridique aux Exilé-e-s (SAJE – Lausanne) – mars 2020
Sources : Échanges avec le mandataire et la représentante d’ELIL ; courriels et courriers entre le mandataire et le SEM ; Règlement (UE) no 604/2013 du parlement européen et du conseil du 26 juin 2013, dit Règlement Dublin (RD)