20 mois de procédure pour obtenir un visa

Il aura fallu 20 mois de procédure judiciaire pour qu’« Irina », originaire du Kosovo, puisse venir rendre visite à sa fille en Suisse. L’ODM prétendait que son retour au Kosovo n’était pas garanti. Le TAF admet un recours et casse la décision de l’ODM.

Personne(s) concernée(s) : « Irina », née en 1941, et sa fille adulte.

Statut : « Irina » habite au Kosovo. Sa fille a une autorisation d’établissement (permis C).

Résumé du cas

« Irina » introduit le 24 août 2006 auprès de la représentation suisse à Pristina une demande de visa pour la Suisse dans le but de rendre visite à sa fille domiciliée dans le canton de Vaud. Sa fille explique dans une lettre au Service de la population (SPOP) qu’« Irina » désire leur rendre visite à elle et son époux pour une durée de 3 mois. Elle joint à cette lettre une attestation de prise en charge en faveur de sa mère, une copie de son bail à loyer, des décomptes de salaire et une attestation de l’office des poursuites. Le dossier est transmis à l’ODM qui refuse d’octroyer le visa au motif que le retour de la mère au Kosovo à l’issue de son séjour en Suisse n’est pas suffisamment garanti. La fille d’ « Irina » fait recours contre cette décision en soulignant que sa mère n’a pas l’intention de rester en Suisse. À l’appui de son recours, elle produit la copie du titre de propriété de la maison familiale au Kosovo et un extrait du relevé du compte bancaire de sa mère. Elle explique également que sa belle mère, veuve et habitant aussi le Kosovo, a régulièrement obtenu des visas pour leur rendre visite et qu’elle était toujours rentrée au pays à l’issue du séjour. Dans ses observations, l’ODM argue que les circonstances dans lesquelles les précédents visas avaient été délivrés ne peuvent pas être tenues pour semblables à la situation actuelle, notamment en raison du conflit qui a touché le Kosovo depuis lors. Dans son arrêt C-994/2006 du 29 avril 2008, le TAF donne raison à la fille d’« Irina » et invite finalement l’ODM à délivrer un visa à sa mère, plus de 20 mois après la demande initiale.

Questions soulevées

 Les 20 mois de procédure et les nombreuses garanties qui ont dû être fournies par « Irina » pour obtenir un visa ne montrent-ils pas que les efforts que doit fournir une mère pour rendre visite à sa fille sont excessifs?

 L’ODM, cassé par le TAF, va-t-il dorénavant assouplir sa pratique ou pousser à chaque fois les intéressés à entreprendre de lourdes démarches pour aboutir à leurs fins ?

Chronologie

2006: 24 août: demande de visa pour la Suisse

2006: 20 octobre: l’ODM rejette la demande

2006 :2 novembre: recours

2008: 29 avril: arrêt du TAF qui casse la décision de l’ODM et l’invite à délivrer le visa

Description du cas

Originaire du Kosovo, « Irina » dépose le 24 août 2006 une demande de visa pour une durée de trois mois auprès de l’ambassade de Suisse à Pristina. Elle souhaite effectuer une visite familiale à sa fille qui est titulaire d’un permis d’établissement et vit dans le canton de Vaud. Sur demande du Service de la population du canton de Vaud (SPOP), la fille d’« Irina » envoie une lettre dans laquelle elle explique que sa mère a déjà séjourné en Suisse en 1990 lors de la naissance de son fils et qu’elle ne désire venir en Suisse que pour une visite familiale. À cette lettre, elle joint une attestation de prise en charge en faveur de sa mère, une copie de son bail à loyer, des décomptes de salaire ainsi qu’une attestation de l’office des poursuites. Le SPOP transmet le dossier à l’ODM pour examen et décision (voir art. 23 OPEV). Dans sa décision du 20 octobre 2006, l’ODM émet son refus au motif que le retour d’ « Irina » au Kosovo n’est pas suffisamment assuré, compte tenu de la situation socio-économique qui prévaut dans cette région et des disparités économiques existant avec la Suisse.

La fille d’« Irina » fait recours devant le TAF contre cette décision en argumentant que sa mère mène une vie paisible au Kosovo où elle est propriétaire de la maison familiale et touche une rente de veuve, qu’elle ne souhaite pas s’établir en Suisse et qu’elle veut uniquement rendre visite à sa famille, comme elle l’a déjà fait par le passé entre 1988 et 2000. Elle garantit que sa mère regagnera le Kosovo à l’issue de son séjour. Elle produit la copie du titre de propriété de la maison familiale établi au nom de sa mère, des relevés du compte bancaire attestant de la rente que sa mère touche au Kosovo. L’ODM propose le rejet du recours au motif que les circonstances dans lesquelles sa mère avait été autorisée à venir en Suisse en 1988 et 1990, ne peuvent être tenues pour semblables à celles de la présente demande, notamment en raison du conflit qui a touché le Kosovo depuis lors. En réponse aux observations de l’ODM, « Irina » explique que sa mère n’a aucune intention de s’établir en Suisse. Elle souligne, preuve à l’appui, qu’à l’instar de sa mère, sa belle-mère, veuve et originaire du Kosovo, a régulièrement obtenu des visas pour leur rendre visite en Suisse, et qu’elle est toujours retournée au pays dans les délais impartis à l’issue de ses séjours.

Dans son arrêt C-994/2006 du 29 avril 2008, le TAF rappelle que lors de l’examen d’une demande de visa, les autorités doivent tenir compte des intérêts moraux et économiques de la Suisse et s’assurer que tout étranger admis dans notre pays a la possibilité et la volonté de regagner son pays d’origine au terme de son séjour. Le TAF souligne aussi que l’ordre juridique suisse ne garantit aucun droit ni quant à l’entrée sur notre territoire, ni quant à l’octroi d’un visa. Il ajoute que, le visa doit être refusé lorsque l’étranger ne présente pas les garanties nécessaires qu’il quittera la Suisse dans les délais impartis (art.5 al.2 LEtr) Enfin, le tribunal précise qu’afin de savoir si le départ de Suisse à la fin du séjour envisagé est suffisamment garanti, les autorités doivent mettre en balance, d’une part, les éléments qui parlent en faveur du retour au pays, et, d’autre part ceux qui montrent que le demandeur pourrait aisément rester en Suisse à l’issue du séjour autorisé.

Se fondant sur ces critères, le TAF remarque que la belle-mère a effectivement obtenu un visa par quatre fois pour rendre visite à sa famille, juge que le risque qu’« Irina » cherche à s’établir définitivement à l’issue du séjour de visite projeté est minime et qu’il n’y a aucune raison objective de refuser sa demande de visa. Le tribunal termine son raisonnement en concluant que l’intérêt privé d’« Irina » à pouvoir rendre visite à sa fille durant trois mois prévaut sur l’intérêt public au vue des garanties qu’elle a apporté qu’elle quittera la Suisse à l’issue du séjour autorisé. Le TAF casse la décision et invite l’ODM à délivrer l’autorisation d’entrée.

Au final, plus de 20 mois de procédure auront été nécessaires pour qu’« Irina » obtienne le visa lui permettant de rendre visite à sa fille et au reste de sa famille en Suisse.

Signalé par : site Web du Tribunal administratif fédéral

Sources : arrêt du TAF C-994/2006 du 29 avril 2008

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