18 ans après : un retour vers l’inconnu

Depuis 18 ans (dont 14 en Allemagne), la famille "Camil" a vainement cherché à obtenir l’asile en Europe. Après 4 ans en Suisse, ils sont renvoyés en Turquie, un pays où les enfants mineurs n’ont jamais vécu et dont ils ne parlent pas la langue.

Personne(s) concernée(s) : La famille « Camil », soit un couple et six enfants mineurs (deux autres enfants, majeurs, ne sont pas mentionnés ici)

Statut : Demandeurs d’asile – permis N (rejet de la demande et renvoi)

Résumé du cas

Après plus de 18 ans passés en Europe à essayer d’obtenir l’asile, d’abord en Allemagne pendant 14 ans, puis en Suisse, la famille « Camil », originaire de Turquie, voit son renvoi prononcé par les autorités suisses. Les 6 enfants mineurs sont tous nés en Allemagne et n’ont jamais vécu dans leur « pays d’origine » dont ils ne parlent pas la langue. Pour les aider à se réinsérer, l’aide au retour officielle leur accorde 5’500 frs et leur promet encore 6’000 frs. pour l’achat d’un véhicule considéré comme projet de réinsertion professionnelle. Au total, moins de 1’500 frs. par personne pour tout recommencer à zéro dans une région que le couple « Camil » a quitté il y a plus de 18 ans.

Questions soulevées

 Est-il encore légitime de renvoyer des personnes ayant vécu 18 ans hors de leur pays, sachant que les enfants nés et scolarisés en Europe verront leur développement perturbé par ce déracinement ?

 Une aide au retour globale de l’ordre de 11’500 frs pour 8 personnes, soit moins de 1’500 frs. par personne, peut-elle vraiment permettre de reprendre pied lorsque l’on doit tout recommencer à zéro ?

Chronologie

1989 : novembre : dépôt d’une demande d’asile en Allemagne, décision négative en mai 1993

1990 – 2001 : naissance des enfants en Allemagne

2003 : 10 juin : demande d’asile en Suisse, refus de l’ODR (21.10.03), recours (26.12.03)

2006 : 28 novembre : décision négative de la CRA qui rejette le recours et confirme le renvoi

2007 : 4 juillet : retour en Turquie

Description du cas

Originaire du sud-est de la Turquie, victimes de persécutions liées aux problèmes des minorités ethniques, la famille « Camil » émigre en Allemagne pour y déposer une demande d’asile. Celle-ci est rejetée : les persécutions subies dans leur pays d’origine, jugées trop faibles par les autorités, ne font pas d’eux de « vrais réfugiés ». La famille fait recours, car elle ne peut se résoudre à un rapatriement, et finit par rester 14 ans en Allemagne avec un statut et une vie matérielle précaires. Six enfants, encore mineurs en 2007, naissent pendant ce long séjour. Apprenant la décision des autorités allemandes de les renvoyer vers la Turquie, toute la famille passe la frontière et dépose une demande d’asile en Suisse. Celle-ci est rejetée par l’ODM en octobre 2003. En novembre 2006, le recours est rejeté par la CRA. Le 4 juillet 2007, après 4 ans de séjour à Genève et 14 ans en Allemagne, la famille rentre en Turquie.

Pendant près de 18 années d’exil, la famille « Camil » n’a jamais eu la possibilité de se construire un avenir stable. En dépit des conditions de vie matérielle et sociale très précaires des demandeurs d’asile, toute la famille a dû fournir un énorme effort pour s’adapter à leurs pays d’accueil successifs. Preuve parmi d’autres de leur degré d’intégration : les 4 plus jeunes parlent le français entre eux. Les dysfonctionnements du domaine de l’asile, et les retards mis à répondre définitivement à leur situation, font qu’après 18 ans, ils se trouvent acculés à un nouvel effort d’adaptation pour se réinstaller dans un pays qui n’est plus le leur. C’est particulièrement vrai pour les enfants, qui sont nés en Allemagne et qui ne parlent pas un mot de turc : ils devront « retourner » dans un pays où aucun d’entre eux ne s’est jamais rendu et dont ils ne maîtrisent pas tous les codes culturels. Trois d’entre eux sont à l’âge critique de l’adolescence, période décisive en termes d’individuation et socialisation. De plus, ayant toujours vécu dans des villes, ils se retrouveront plongés soudainement dans le milieu rural et traditionnel de Mardin, province d’origine de leurs parents. Dans leurs décisions, ni l’ODM, ni la CRA n’ont jamais véritablement pris en compte la situation de détresse dans laquelle vont se retrouver ces enfants. Comme seule réponse à cette situation, la CRA suggère qu' »ils pourront s’épauler mutuellement ».

Résignée au départ, la famille « Camil » collabore avec le Bureau d’Aide au Départ de la Croix-Rouge genevoise (BAD), pour bénéficier de l’aide au retour officielle prévue pour atténuer les difficultés de réinsertion. Malgré le caractère exceptionnel de la situation, l’aide de base qui leur est accordée est la même que pour tous les rapatriés : 500 frs pour chaque enfant mineur et 1’000 frs pour chaque adulte, soit un total de 5’500 frs d’aide individuelle (un des enfants a été considéré comme adulte). En plus, comme prévu en cas de projets de réinsertion professionnelle crédible, l’ODM propose de leur rembourser 6’000 frs sur présentation de la facture de l’achat d’un mini-bus que le chef de famille aimerait acquérir pour créer une petite entreprise de transport. En tout, l’aide officielle se chiffre à 11’500 frs pour 8 personnes contraintes, après une absence de 18 ans, de recommencer leur vie à zéro dans une région sous-développée et où les tensions entre l’armée turque et la rébellion kurde ont repris. Devant l’insuffisance de cette aide, le BAD obtient de ses partenaires des aides supplémentaires exceptionnelles de 6’700 frs. Par ailleurs, choqué par la dureté de la situation, un mouvement de solidarité citoyenne, lancé par un ami de la famille, tente de réunir des aides additionnelles. Au moment du départ 15’000 frs étaient déjà collectés par ce réseau privé. D’après nos sources, le retour fut éprouvant – le père et son fils adolescent ayant été longuement entendus par les autorités turques – et la famille tente aujourd’hui comme elle peut de s’adapter à ce nouvel environnement et de gérer au mieux le pécule dont elle dispose.

Signalé par : Correspondant régulier de l’Observatoire, juin 2007

Sources : Extraits de la décision ODR (21.11.03), décision CRA (28.11.06),

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