Tamouls renvoyés par erreur de Suisse :
la longueur de la procédure mise en cause

Suite à l’emprisonnement de deux Tamouls que la Suisse avait renvoyés, un moratoire sur les renvois vers le Le Sri Lanka a été ordonné à la fin de l’été 2013. En parallèle, une enquête indépendante a été mise sur pied afin de faire toute la lumière sur les dysfonctionnements ayant conduit aux erreurs d’appréciation quant aux risques qu’encouraient les personnes concernées.

Fin mai 2014, les résultats de l’enquête ont été rendus publics par l’Office fédéral des migrations (ODM). Estimant que les mesures nécessaires ont été prises pour éviter qu’une telle succession d’erreurs ne se reproduise, l’ODM annonce par la même occasion avoir levé l’arrêt des renvois vers le Sri Lanka.

Les évaluations menées mettent en cause 1) la durée des procédures (soit 4 ans entre le dépôt des demandes en 2009 et le renvoi) pendant laquelle la situation dans le pays et les risques encourus en cas de renvoi n’ont pas été correctement réévalués, 2) le fait que les dossiers ont été traités successivement par des personnes différentes pendant toutes ces années, 3) la restructuration menée au sein de l’ODM, qui a été rendu difficile le suivi des cas par la hiérarchie et 4) des mesures d’instruction insuffisantes et des auditions pas assez poussées.

Durée excessive de la procédure

Parmi les mesures annoncées pour pallier ces insuffisances, il convient de saluer le fait que « l’ODM veille désormais, dans la mesure du possible, à ce que la décision d’asile soit prise peu de temps après l’audition et par la même personne ». Il faut espérer que cela devienne réellement le cas, sauf lorsque la complexité d’un cas d’espèce exige des mesures d’instruction supplémentaires. Il est en effet à craindre qu’à l’instar des ressortissants sri-lankais et plus récemment des Syriens, d’autres nationalités pâtissent d’une mise en attente de leur demande d’asile, en vue d’un possible renvoi si le conflit dans le pays cesse. À ce sujet, voir le rapport « Asile à deux vitesses », publié le 20 mai dernier.

Questions qui demeurent

Par ailleurs, certaines questions soulevées par des organisations non gouvernementales demeurent sans réelle réponse.

 Comment le Tribunal administratif fédéral (TAF) a-t-il pu valider des décisions de renvoi entachées de si graves erreurs ?

 Suite à l’établissement d’une liste d’organisations terroristes par le gouvernement sri-lankais en mars 2014, les personnes s’étant réfugiées en Suisse pourraient être généralement suspectées d’appartenir à ces mouvements. Dès lors, est-ce prudent de reprendre les renvois forcés de Tamouls ?

Sources :

ODM, Arrestation de deux requérants d’asile au Sri Lanka : les rapports sont prêts, Communiqué, 26 mai 2014

Amnesty, OSAR et Société pour les peuples menacés, Pas de renvoi vers le Sri Lanka ! Une enquête indépendante pointe du doigt les défaillances de l’ODM, Communiqué, 26 mai 2014

Les Observatoires du droit d’asile et des étrangers, Asile à deux vitesses : Enjeux juridiques et conséquences sur le plan humain des délais excessifs dans le traitement des demandes d’asile, 2014.

Pour plus d’informations :

ODAE romand, Renvoyés par la Suisse, deux Tamouls restent en détention, Info brève, 7 octobre 2013

Vivre Ensemble, A propos de deux Tamouls arrêtés après leur renvoi de Suisse, 27 mai 2014

Cas relatifs

Cas individuel — 04/12/2025

Le TF déboute le SEM et le TAF pour avoir arbitrairement changé la date de naissance d’un requérant mineur non accompagné

Ismail* arrive seul en Suisse en septembre 2023, à l’âge de 16 ans. Lorsqu’il dépose sa demande d’asile, il indique être né le 8 avril 2007 et fournit deux documents corroborant ses dires. Malgré la reconnaissance de la minorité d’Ismail* par l’Italie, pays par lequel il a transité, le SEM modifie sa date de naissance après l’avoir interrogé sur ses données personnelles lors d’une première audition mais sans réaliser d’expertise médico-légale. Saisi par recours, le TAF confirme la décision du SEM, bien qu’il admette que le choix de la date a pour seul but de rendre Ismail* majeur. Ce dernier dépose alors un recours au TF qui lui donne finalement raison, estimant qu’aucun élément ne permet de remettre en question ses propos et que s’il avait un doute sur son âge, le SEM aurait dû procéder à une expertise médico-légale.
Cas individuel — 12/02/2025

Alors que la Suède avait reconnu sa minorité, la Suisse change sa date de naissance et prononce son renvoi

Adil*, originaire d’Afghanistan, demande l’asile en Suède en 2015. La Suède examine son âge et reconnait sa minorité, cependant elle rejette sa demande d’asile. Adil* se rend alors en Suisse, et réitère sa demande de protection. Mais le SEM lui attribue une nouvelle date de naissance, qui le rend majeur, et prononce son renvoi vers la Suède au nom du règlement Dublin III. Adil* dépose un recours auprès du TAF contre cette décision, mais celui-ci est rejetée. Adil* et son mandataire déposent alors un nouveau recours, auprès du Comité des droits de l’enfant (CDE). En mai 2024, celui-ci rend sa décision : il estime que la Suisse a violé l’intérêt supérieur d’Adil* (art. 3 de la Convention) et son droit d’être entendu (art. 12) en le déclarant majeur. Il reproche à la Suisse d’avoir ignoré l’expertise de détermination de l’âge réalisée en Suède et de n’avoir pas procédé à une évaluation complète de son développement physique et psychologique.
Cas individuel — 29/10/2024

Quatre ans de procédure pour se voir reconnaître son statut de victime de violences domestiques

Arrivée en Suisse en 2018 à la suite de son mariage avec un ressortissant suisse, Amanda* est rapidement victime de violences domestiques. À la suite de la séparation du couple, et malgré les documents attestant des violences subies par Amanda* ainsi que de ses craintes, fondées, de représailles de sa belle-famille en cas de retour, le SEM refuse de renouveler son autorisation de séjour et prononce son renvoi vers le Sri-Lanka. Amanda* dépose un recours au TAF contre cette décision. En août 2023, le TAF lui donne raison : il annule la décision du SEM et ordonne l’octroi d’une nouvelle autorisation de séjour en faveur d’Amanda* sur la base de l’art. 30 LEI qui permet de déroger aux conditions d’admission pour tenir compte de cas individuels d’une extrême gravité (F-2969/2020). Le TAF que reconnait les violences domestiques subies par Amanda* – que le SEM avait minimisées, voire niées – et leurs conséquences sur son état de santé, tout comme les difficultés de réintégration en cas de retour au pays d’origine, constituent des éléments suffisants pour admettre la prolongation de son séjour en Suisse.
Cas individuel — 16/01/2024

Persécuté pour des motifs politiques, les autorités suisses estiment pourtant le renvoi possible

Seymur* vient d’Azerbaïdjan, où il connait des persécutions liées à ses opinions politiques. Il demande l’asile en Suisse, qui refuse et ordonne le renvoi, malgré les intimidations que sa famille subit toujours.