Pour Strasbourg, la Belgique n’aurait pas dû opter pour le renvoi d’un père de famille malade, malgré son passé pénal

Le 13 décembre 2016, la Grande Chambre de la CourEDH a conclu (arrêt Paposhvili c. Belgique) que la Belgique aurait violé la Convention si elle avait renvoyé le requérant, un ressortissant géorgien atteint d’une grave maladie, et mort avant l’arrêt de la CourEDH. Pour Strasbourg, le droit au respect de sa vie familiale exigeait qu’il fût autorisé à séjourner en Belgique pour le temps qui lui restait à vivre, malgré son passé pénal. Il avait déposé deux demandes de régularisation, arguant que les traitements médicaux dont il avait impérativement besoin étaient inaccessibles ou inexistants en Géorgie. Des raisons familiales étaient également invoquées, car sa femme et ses trois enfants résidaient en Belgique. Les autorités belges avaient rejeté ces demandes en raison des condamnations pénales du requérant. La CourEDH a suspendu le renvoi du requérant pendant la procédure. À la suite du décès du requérant en juin 2016, ses proches ont décidé de poursuivre la procédure.

Dans son arrêt, la Grande Chambre a reproché aux autorités belges de n’avoir examiné ni le risque encouru au vu de son état de santé, ni les conséquences de la séparation familiale. Elle a dit à l’unanimité qu’il y aurait eu violation des articles 3 et 8 CEDH en cas de renvoi.
L’arrêt aura certainement des implications sur la manière dont les tribunaux suisses appliqueront les nouvelles dispositions légales sur le renvoi des étrangers criminels, entrées en vigueur le 1er octobre 2016 (art. 66a à 66d CP, Info brève du 23.03.2016). Une clause de rigueur permet au juge de renoncer à l’expulsion obligatoire dans certaines circonstances. L’état de santé est mentionné, parmi d’autres critères, dans les recommandations émises le 24 novembre 2016 par la Conférence des procureurs de Suisse sur l’application de ces dispositions. L’ODAE romand a, à plusieurs reprises, documenté la difficulté à faire reconnaitre la gravité de l’état de santé ou l’inaccessibilité des soins dans le pays d’origine face aux autorités (lire le rapport Renvoi et accès aux soins, 2e édition actualisée). Il est à craindre que les nouvelles dispositions suisses entraînent un durcissement d’une pratique déjà restrictive.

Sources : Arrêt de la CourEDH Paposhvili c. Belgique et communiqué de presse du 13.12.2016 ; Recommandations de la Conférence des procureurs de Suisse du 24.11.2016 ; article de Pierre-Yves Bosshard dans Le Courrier du 22.12.2016.

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