La Suisse renonce au transfert en France d’une adolescente victime de prostitution

Les trois Observatoires du droit d’asile et des étrangers documentent depuis plus de cinq ans des situations concrètes témoignant des conséquences du durcissement du droit d’asile et des étrangers. Le 200e cas publié aujourd’hui est, une fois n’est pas coutume, un cas positif où la Suisse a renoncé au transfert en France d’une mineure qui y avait été contrainte à la prostitution. Ce faisant, les autorités ont usé de la marge de manœuvre que leur confère la « clause de souveraineté » prévue dans le Règlement Dublin. Un fait encore trop rare aux yeux des Observatoires, qui soulèvent ici les difficultés inhérentes à la procédure Dublin et à son application par les Etats membres, dont la Suisse.

Le cas « Ayala »

Après la mort de ses parents, « Ayala », 9 ans, est confiée à son oncle, qui abuse d’elle pendant trois ans avant de l’emmener en France. Là-bas, il la laisse aux mains d’une « mama » qui l’incite à déposer une demande d’asile en tant que majeure et la contraint à la prostitution. Après deux ans de violence, d’avortements forcés, « Ayala » fuit la France et dépose une demande d’asile en Suisse. Elle a alors 14 ans. Son audition par l’Office fédéral des migrations (ODM) a lieu sans la présence d’une personne de confiance – pourtant obligatoire pour les mineurs – et sa demande est frappée d’une non-entrée en matière (NEM Dublin), avec pour conséquence un renvoi programmé en France. Autrement dit, le risque d’un retour forcé à la prostitution pour « Ayala ». Seul un recours auprès du Tribunal administratif fédéral oblige l’ODM à procéder à une nouvelle audition. Par la suite, l’ODM décide de renoncer au transfert en France et entre en matière sur la demande d’asile déposée en Suisse par « Ayala ».

La Suisse n’est pas déliée de sa responsabilité

Selon le Règlement Dublin, l’Etat dans lequel une première demande d’asile a été déposée est responsable du traitement de cette requête. Les Etats restent cependant libres d’entrer en matière sur une demande d’asile, puisque la clause de souveraineté leur permet de s’en déclarer responsables et d’entamer une procédure nationale. Mais à l’heure actuelle, ni la loi ni la jurisprudence ne définissent clairement les critères de vulnérabilité devant amener la Suisse à appliquer la clause de souveraineté et à entrer en matière sur la demande d’asile déposée par un « cas Dublin ». Selon l’ancienne Conseillère fédérale Ruth Dreifuss, qui soutient le travail des Observatoires : « la procédure Dublin ne dispense en rien de la responsabilité d’examiner sérieusement ce qu’il adviendra de la personne une fois de retour dans le pays où la première demande d’asile a été déposée. Dans le cas d’« Ayala », la Suisse a assumé cette responsabilité, elle devrait le faire régulièrement et de façon souveraine ».

« Ayala » – un dénouement trop rare

Le cas d’« Ayala » montre que les autorités sont parfaitement en mesure d’entrer en matière sur un cas Dublin. Néanmoins, elles n’usent que très exceptionnellement de leur marge de manœuvre. Le transfert de personnes particulièrement vulnérables – telles que les mineurs, les personnes malades ou ayant vécu des événements traumatiques – reste, à l’heure actuelle, la règle.

Pour plus d’informations

Marisa Pardo – Coordinatrice ad interim ODAE romand – 022 310 57 30 – 078 906 13 29

Stefanie Tamara Kurt – Coordinatrice SBAA – 031 381 45 40 – 078 752 21 01

Ann-Seline Frankhauser – Coordinatrice BAAO – 071 244 68 09

Observatoires du droit d’asile et des étrangers

Depuis plus de cinq ans, les Observatoires suisse, romand et de Suisse orientale du droit d’asile et des étrangers apportent un éclairage sur les conséquences humaines des décisions prises en application des lois sur l’asile et les étrangers. Ces trois associations indépendantes et autonomes ont pour même but la description rigoureuse de situations réelles afin de réintroduire le facteur humain dans l’évaluation de la mise en œuvre de la politique migratoire suisse. Pour les Observatoires, le respect de la dignité humaine et des droits humains doit être valable pour tous, sans exception. Leur première coopération a donné lieu à un rapport commun, publié en mai 2012, portant sur le regroupement familial et les limitations au droit à la vie familiale.

Observatoire suisse du droit d’asile et des étrangers (SBAA)
www.beobachtungsstelle.ch

Observatoire du droit d’asile et des étrangers de Suisse orientale (BAAO) www.beobachtungsstelle-rds.ch